Lalatiana Rakotondranaivo et Velomahanina Razakamaharavo (28/04/2023)

Pendant plus d'un demi-siècle (1895-1960) , Madagascar a été colonisé par la France. Quels ont été les impacts de cette occupation sur la société malgache? Une interview sur cette période avec l’historien Dr Denis Alexandre Lahiniriko, ainsi que des micros-trottoirs avec des citoyens malagasy de différentes régions mettent en évidence que d’un côté, la colonisation a renforcé la construction identitaire de Madagascar en tant que nation. D’un autre côté, elle a profondément marqué les institutions malgaches, lesquelles sont héritées du modèle de la France.

 L’identité malagasy

Dans Tafa milamina, Dr Lahiniriko affirme que l’arrivée des  étrangers dans le pays a encouragé la prise de conscience des Malagasy de l'unité de Madagascar. Il part du principe selon lequel notre identité est en partie définie par rapport à la présence d'un autre groupe, différent du nôtre. Par la présence des Européens, les Malagasy ont ainsi pu confirmer, par leur différence par rapport à ces étrangers, leur identité propre.  Ces contacts avec les étrangers datent de la période de la royauté. Néanmoins, la colonisation a également contribué à l'affirmation de l'identité de Madagascar. La période coloniale a par exemple vu le développement de la presse d’opinion. L'élite malagasy de l'époque a saisi cette opportunité pour propager une idéologie nationaliste permettant à Madagascar de s'affirmer sur les plans national et international.

Gouvernance et institutions : héritages coloniaux?

La lutte pour l'indépendance à Madagascar a permis à des groupes nationalistes (ex. : ny Antoko Komonista amin’ny Faritr’i Madagasikara ou le parti communiste pour la région de Madagascar)d'être en contact avec des associations anticoloniales à l'étranger, telle que la Ligue Française pour l’Accession des Indigènes de Madagascar aux Droits de Citoyens (c’est ce que Hybricon appelle « international » à Madagascar). De par ces contacts, ils ont pu découvrir les notions modernes de la démocratie et ses valeurs, notamment le processus électoral pour mettre en place les dirigeants du pays. Les invités de Tafa milamina expliquent que les Malagasy ont hérité de la colonisation ces pratiques démocratiques ainsi que les institutions et les valeurs qui s’y rapportent. Ces pratiques incluent les fraudes électorales.

Dr Lahiniriko apporte une analyse sur un autre aspect de la gouvernance ) Madagascar, le rapport entre le Fihavanana malagasy et la démocratie. Le fihavanana est une philosophie, un idéal et une valeur qui comprend la parentalité, l’entraide, la paix et l’harmonie: « La culture politique locale présente à Madagascar est une version politique du fihavanana », précise-t-il. C'est ce qu'on appelle état raiamandreny (littéralement : État parent), qui est exactement l'image de la famille avec toute la hiérarchie qu'elle comporte, en termes de rôles et de statuts. Un raiamandreny a toujours raison comme c'est lui qui dirige. Un enfant ne contredit pas mais suit uniquement les instructions données par le raiamandreny. En cas de fautes commises, il est puni. Dans la conception politique du fihavanana, il ne peut y avoir d'opposition, c'est ce qui constitue le plus grand défi de la démocratie qui est actuellement exercée à Madagascar. »  Selon Dr Lahiniriko, à Madagascar, les habitants se considèrent et sont encore considérés par les dirigeants comme des sujets et non des citoyens qui ont des choix à faire. Il s'agit d'une situation héritée de la période de la royauté et la colonisation. Dans le fihavanana, selon Dr Lahiniriko, l'on pense en groupe, l'individu ne décide pas par lui-même. Toutes les décisions incombent aux aînés, aux « parents » qui dirigent. Cependant, dans un pays démocratique, bien que le choix du grand nombre importe, le choix de chaque individu compte également. Ce paradoxe entre l'idéologie et les institutions doit être résolu. Ce point de vue du chercheur n'est pas partagé par certains citoyens que nous avons interviewés, ils considèrent justement l'individualisme comme un des effets de la colonisation, il s'agit selon eux d'un signe de l'érosion du fihavanana.

A propos des processus de paix

Dr Razakamaharavo, chercheur en chef de Hybricon, explique dans Tafa Milamina que la colonisation par la France a été un événement douloureux pour les Malagasy. On ne nie pas les avancées techniques et technologiques dont Madagascar a bénéficiées, grâce à l'occupation française, mais il apparaît que des plaies restent ouvertes .  Elles se manifestent dans la méfiance vis-à-vis des pays étrangers dans la résolution des crises successives auxquelles le pays a fait face.

Elle donne un exemple en rapport avec les initiatives de médiation à Madagascar durant la crise de 2009. Elle affirme que la politique française durant la période coloniale était parfois particulièrement violente. Les colons français ont causé de nombreuses souffrances et de la douleur : il y eut des massacres et de l’humiliation, ce qui a laissé de douloureux souvenirs. Des recherches montrent que la politique du « diviser pour régner » appliquée par la France durant cette période a érigé les Malagasy entre eux (les Merina des hautes terres et les habitants des côtes). Ainsi les Malagasy ont construit une image de la France comme étant l’« autre ». Cela a eu des répercussions sur les processus de paix. A chaque fois que la France (ou d’autres acteurs tels que les Nations Unies et les Etats-Unis) est engagée dans des initiatives telles que des processus de médiation, il y a toujours de la méfiance. On peut observer cela dans le langage des Malagasy sur les différents médias sociaux et les forums durant les processus de paix depuis 2009 : « pourquoi laissons-nous les colonisateurs interférer dans les affaires des Malagasy ? » Dr Razakamaharavo ajoute que les Malagasy sont toujours en quête d’une réelle indépendance.

Pour revenir à l’héritage du colonialisme français à Madagascar, des acteurs de la vie politique et des membres de la société civile ont réclamé une solution malgacho-malgache pour résoudre la crise de 2009, affirmant qu’il s’agit d’un problème local, que les conflits devaient être réglés localement, que les Malagasy sont capables de résoudre leurs problèmes. Une des stratégies de la communauté internationale et des Malagasy engagés dans les processus de paix a été l’organisation d’élections justes et libres (qui ont été organisées en 2014). Des citoyens malagasy interviewés ont expliqué que les élections ne règlent pas les problèmes profonds du pays (surtout que les Malagasy ont hérité des pratiques telles que les fraudes électorales pendant la colonisation).

A la lumière de ces explications, on peut affirmer que Madagascar doit trouver un moyen de composer avec son passé colonial, lequel a non seulement marqué sa population, mais aussi ses institutions. Pour que le pays avance, il lui faut identifier les institutions hybrides, qui tiennent compte à la fois les identités d'avant et pendant la colonisation et qui restent très présentes dans la conscience collective, et des principes modernes qui peuvent s'harmoniser avec cette identité.

Cdt: Archives Nationales d'Outre Mer, Aix-en-Provence, France - GGM 6D (2) 167