Par Velomahanina Razakamaharavo et Lalatiana Rakotondranaivo

24/05/2023

Conflits fonciers à Madagascar : Un combat pour la terre et les droits de propriété

Un conflit peut être défini comme une situation impliquant deux ou plusieurs acteurs ayant des intérêts différents ou divergents, qu'ils soient apparents ou latents. Malheureusement, ces conflits peuvent souvent dégénérer en violence. Selon une enquête menée par l'ONG Obs Mada sur les conflits à Madagascar, il a été constaté que 25% de ces conflits étaient liés à des litiges fonciers. Les conflits fonciers sont une réalité fréquente à Madagascar, constituant un problème majeur au sein de la société. De plus, lorsque ces conflits prennent une dimension politique, ils ont tendance à s'aggraver. La terre représente l'une des ressources les plus précieuses pour lesquelles les communautés se battent ardemment. Dans un pays où près de 80% de la population vit en milieu rural et dépend de l'agriculture pour sa subsistance, les richesses de la terre (telles que l'eau, les produits agricoles, les mines, etc.) jouent un rôle essentiel dans leur vie quotidienne.

Héritage coloniale

Avant la colonisation de Madagascar en 1896, les rois et les reines exerçaient le pouvoir sur les terres et les gouvernaient. Le colonialisme français a introduit la gestion des terres à Madagascar. Les Français ont créé une unité chargée de l'enregistrement foncier. Pendant la période coloniale, on estime que les Français ont exproprié par la force environ 20% des terres arables en production. Ils ont mis en place le système d'enregistrement Torrens et le cadastre pour enregistrer les concessions foncières accordées aux colons, tout en réservant également quelques terres pour les Malgaches. En 1921, une distinction juridique a été établie entre les terres enregistrées et les terres détenues selon le droit coutumier. Il était particulièrement difficile pour les Malgaches d'obtenir des titres fonciers, car ces lois n'étaient pas conçues pour eux. Malgré diverses tentatives de réforme, ces règles et pratiques persistent dans le système foncier malgache contemporain. Selon Eric Raparison, coordinateur national du Sehatra Iombonana ho an'ny Fananan-tany, en 1960, l'État a encouragé les Malgaches à cultiver des terres et ils ne pouvaient obtenir des titres que s'ils avaient vécu plus de 10 ans sur ces terres.

Un combat constant

Le cas d'une famille habitant la capitale illustre un scénario fréquent de conflit foncier entre héritiers. La famille de Virginie a hérité d'un terrain, dont plusieurs membres sont propriétaires. À un moment donné, l'un des héritiers décide de vendre sa part et met également en vente la partie du terrain qui ne lui appartient pas. Il parvient à établir un acte de vente avec une entreprise qui achète le terrain en utilisant de faux documents. La famille de Virginie se rend alors au fokontany, la structure étatique locale la plus proche, pour trouver une solution. Selon eux, les responsables de ce fokontany ont collaboré à la création de faux documents afin de faciliter la vente. N'ayant pas obtenu satisfaction, Virginie et sa famille décident de porter l'affaire devant le tribunal. Une procédure est entamée, mais faute de ressources financières pour payer un avocat, la famille est contrainte de suspendre la procédure. La famille continue d'utiliser le terrain pour le moment, car le nouvel acquéreur n'y a pas encore touché. Virginie et sa famille ont tenté de rencontrer l'acheteur, mais n'ont pas réussi à entrer en contact avec lui.

Dans le cas de Virginie et des autres cohéritiers, ils ont dû recourir au tribunal car les tentatives de réconciliation au sein de la famille et l'intervention du fokontany n'ont pas abouti. Ce parcours est généralement suivi par ceux qui sont confrontés à des conflits fonciers. En règle générale, les litiges sont résolus au sein de la communauté, puis portés au niveau du fokontany si aucun accord n'est trouvé. Selon un responsable du fokontany, le rôle de cette institution est de faciliter un accord entre les parties en conflit. L'objectif est de résoudre l'affaire à l'amiable. En cas d'échec de conciliation, les parties concernées déposent une plainte auprès du tribunal.

Traditions

Selon le Tangalamena, Botozafisoa Jules, dans la tradition malgache, la résolution des conflits nécessite l'intervention des aînés de la communauté : "En cas de problème au sein de la communauté, les aînés prennent en charge l'affaire, sans intervention de la police, de la gendarmerie ou des tribunaux ... La solution réside entre les mains des aînés du village. Ils interviennent en premier. Les responsables des fokontany ne connaissent pas la communauté aussi bien qu'eux. Les aînés convoquent les parties en conflit en présence des membres de la communauté. Ils prennent des décisions afin d'éviter que les conflits ne se reproduisent. Des sanctions sont prononcées à l'encontre de celui qui est en faute, et en cas de récidive, la communauté prendra des mesures." Selon lui, cette pratique est efficace, mais elle a été progressivement remplacée par l'application de la loi, ce qui crée plus de problèmes que de solutions. Toujours selon M. Botozafisoa, les structures telles que les fokontany et la police ne parviennent pas à résoudre les problèmes, car elles ne permettent pas de distinguer le vrai du faux.

Cette médiation réalisée par les aînés est également pratiquée par les fokontany, comme l'explique M. Randriamboavonjy Joseph, président du Fokontany Ikopakely à Ambohitrimanjaka : "Nous essayons de réconcilier les parties en conflit. Lorsqu'il s'agit d'un conflit foncier où deux protagonistes prétendent tous les deux être propriétaires d'un terrain, preuves à l'appui, nous cherchons à identifier l'origine du problème et faisons appel à des témoins. Si ce sont des cohéritiers, nous demandons à un partage du terrain ou des récoltes qui y ont été produites. Si les deux parties ne souhaitent pas partager, ils portent le problème devant le tribunal.”

Types de conflits et procédures pour obtenir des titres fonciers

Il existe différents types de conflits fonciers à Madagascar. Tout d'abord, il y a le cas des terres sans propriétaire clairement défini, mais qui sont considérées comme appartenant à l'État. Selon la loi malgache, les personnes ayant occupé ces terres pendant une longue période et les ayant exploitées peuvent demander à en devenir propriétaires. Elles peuvent obtenir un titre foncier de l'État en prouvant qu'elles ont travaillé cette terre pendant plus de 10 ans (dans les zones rurales) ou plus de 20 ans (dans les zones urbaines). Dans cette procédure légale, le Service des Domaines représente l'État, et en cas d'échec, le Ministère de l'Aménagement du Territoire traite les revendications.

Un autre cas concerne les terres rurales qui appartiennent à l'État mais n'ont pas de titres clairs et sont traditionnellement héritées des ancêtres. Dans ce cas, les communes rurales, en tant qu'unités administratives de l'État, avec leur Bureau local foncier appelé "Birao Ifotony ny Fananan-tany" ou BIF, prennent la décision de délivrer des titres fonciers en vérifiant la légalité des documents. Le conseil communal dispose d'un tribunal local qui statue sur les litiges entre les parties et définit la durée allouée à chacune. Le maire signe les documents du BIF, et ces documents peuvent être utilisés pour demander le titre foncier à l'État dans un délai de 15 jours devant un tribunal.

Dans d'autres situations, des individus travaillent des terres sans titres ni propriétaires clairement identifiés. Dans ces cas, ils doivent entamer une procédure de prescription d'acquisition auprès du tribunal. Une fois de plus, la commune doit attester qu'ils ont travaillé les terres pendant plus de 10 ans. Selon l'avocat Maître Raoelina Fanomezantsoa Christian, une fois que cette attestation est obtenue du tribunal, ils peuvent devenir propriétaires des terres qu'ils ont exploitées en faisant modifier le titre de propriété.

Cependant, Madagascar a également connu de nombreux cas d'appropriation de terres par de grandes entreprises telles que des compagnies minières.

En ce qui concerne le secteur minier

Jusqu'à présent, le code minier et la loi foncière se complétaient mutuellement. Celui qui détient un permis minier ne peut pas commencer l'exploitation sans obtenir un accord avec les occupants du terrain, même si ces derniers ne possèdent pas de titres fonciers (selon la loi de 2005). Bien que les ressources minières appartiennent à l'État, elles ne sont pas réservées aux fonctionnaires, mais aux citoyens malgaches. Les personnes qui ont entrepris des travaux de mise en valeur, même sans avoir de titres fonciers, sont protégées par cette loi. Il incombe à la commune où un périmètre minier est défini de recenser les occupants dans le cadastre minier. Ce recensement est effectué avant l'arrivée des exploitants, ce qui permet d'entamer les négociations.

La société civile effectue un recensement parcellaire dans le périmètre minier. Après cela, il est possible de conclure un contrat de bon voisinage afin d'établir une harmonie sociale entre les exploitants et la population locale, et ainsi éviter les conflits.

Étant donné que les activités minières ont un impact sur la terre pendant une période de 30 ans après l'exploitation, des redevances doivent être versées à la commune. Une entreprise exploitante doit établir un plan de Responsabilité Sociétale de l'Entreprise (RSE), car les ressources minières ne sont pas renouvelables. Les intérêts communs devraient profiter à la population malgache. Cependant, dans certains cas, ces activités minières entraînent l'appauvrissement et des dommages pour les populations locales.

Pourquoi les conflits fonciers persistent-ils à Madagascar ?

Selon Mr Eric Raparison, les conflits fonciers persistent en raison de l'absence d'une politique claire et solide d'aménagement du territoire, ainsi que de politiques d'acquisition de terres et de droits de propriété foncière.

Les politiques relatives à la propriété foncière ne sont pas suffisamment définies, et la loi se contente simplement d'affirmer que les citoyens ont le droit de demander des terres à l'État. Cependant, chaque année, le nombre de jeunes Malgaches entrant sur le marché du travail augmente. De plus, environ 80 % de la population malgache sont des agriculteurs ou des jeunes issus de cette partie de la population. Malheureusement, il n'existe pas de politique qui tienne compte de cette réalité ou qui leur octroie des terres. C'est là que l'importance d'une politique d'aménagement du territoire se manifeste afin de résoudre ces conflits. Ces politiques devraient concerner l'attribution des terres que les Malgaches doivent transmettre à leurs familles et aux générations futures. Certaines terres pourraient être réservées à des fins agricoles, interdisant ainsi toute construction pour garantir la sécurité alimentaire et permettre l'irrigation.

Le Programme Alimentaire Mondial affirme que 10 millions d'hectares de terres à Madagascar pourraient être utilisés à des fins agricoles. Cependant, les Malgaches n'exploitent que 30 % de ces terres. Ce n'est pas parce que les Malgaches sont paresseux, mais plutôt parce qu'ils ne veulent pas vivre dans des endroits éloignés où règne l'insécurité et où il n'y a ni écoles ni accès à l'eau, etc. L'État est responsable de cette situation, car il devrait utiliser les impôts collectés pour investir dans l'aménagement du territoire et les infrastructures publiques essentielles. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de politiques sérieuses et claires en matière d'aménagement du territoire, du moins si elles ont existé, elles n'ont pas été mises en œuvre. Cela se reflète dans le faible montant alloué à ces projets dans le budget de l'État. Par exemple, dans la loi des finances rectificative 2022, le ministère de l'Aménagement du Territoire a reçu une allocation de seulement 253 493 360 Ariary, soit environ 2,35 % du budget de l'État.

Que faire ?

Les instruments juridiques mentionnés par M. Raparison faciliteront l'acquisition de terres et organiseront leur utilisation en fonction des besoins de la population malgache. De plus, ces politiques réduiront les acquisitions illicites de terres par de grandes entreprises internationales cherchant à réaliser des profits à Madagascar.

Les communes et leur rôle en tant qu'unités administratives de l'État sont au cœur des politiques d'aménagement et d'acquisition des terres. Elles sont les premières responsables de ces politiques, car elles délivrent les titres fonciers et perçoivent les impôts fonciers. M. Raparison suggère que des réformes sont nécessaires, et l'une des façons de les mettre en œuvre est d'amener les communes à concilier trois politiques essentielles : l'aménagement du territoire, l'attribution des titres fonciers et la collecte des impôts. Les communes doivent établir un plan de planification clair et réaliser un inventaire de toutes les terres dans chaque localité afin d'identifier les propriétaires et de limiter ou de définir les surfaces allouées aux activités agricoles. Cette démarche vise à prévenir les conflits fonciers et à assurer l'avenir des générations futures. Si ces mesures ne sont pas prises, il existe toujours un risque que des étrangers s'approprient les terres malgaches à des fins personnelles et économiques, ce qui pourrait conduire les Malgaches à se battre entre eux pour de petites parcelles de terre inutiles.